A l'approche des élections fédérales en Allemagne, focus sur les spécificités du système politique allemand.
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Sommaire des questions :
Les Länder et les régions, c'est pareil ?
Quel est le rôle du Bundestag dans le système politique allemand ?
Comment les Allemand·e·s votent-ils·elles et pourquoi un système électoral si complexe ?
Peut-on voter par procuration en Allemagne ?
Quels sont les pouvoirs du chancelier ou de la chancelière, et comment est-il·elle élu·e ?
Comment se forment les coalitions et comment fonctionnent-elles ?
Quels partis siègent au Bundestag ?
Y a-t-il un·e « Président·e de la République » en Allemagne ?
1. Les Länder et les régions, c’est pareil ?
L’Allemagne est une République fédérale, ce qui signifie que les Länder fonctionnent davantage comme des petits Etats qui disposent d’une forte souveraineté comparativement aux régions françaises. Il y en a 16 en Allemagne, dont 3 cités-Etats, Berlin, Hambourg et Brême. Ils possèdent chacun un Parlement (Landtag), une Constitution et un gouvernement qui est dirigé par ce qu’on appelle un ministre-président. Ils sont autonomes dans de nombreux domaines, tels que l’éducation, la police, les aides sociales, l’environnement, les affaires religieuses, ou encore la définition de la politique culturelle. Chaque Land possède par exemple sa propre chaîne de télévision publique. La Fédération (Le Bund) dispose d’une compétence exclusive sur la politique étrangère, la défense, la justice, la politique monétaire ou le droit du travail. Cette répartition des prérogatives n’est pas toujours évidente, et peut parfois donner lieu à un enchevêtrement de compétences entre les différents niveaux de gouvernance.
Les Länder sont représentés au niveau fédéral par le Bundesrat (Conseil fédéral), la deuxième chambre du Parlement allemand, qui élabore les lois avec le Bundestag (équivalent de l'Assemblée nationale française). Il est composé de 69 membres issu·e·s des gouvernements régionaux. Chaque Land dispose de 3 à 6 voix, en fonction de l’importance de sa population. Les Länder ont par ailleurs tous une représentation institutionnelle à Berlin, leur permettant de faire le lien entre les affaires régionales et le Bund, ainsi qu’une représentation permanente auprès de l’Union européenne à Bruxelles.
Le caractère fédéral de l’Allemagne s’explique par des raisons historiques, et notamment l’héritage du Saint Empire romain germanique et la Confédération germanique, créée en 1815, laquelle fédérait 39 Etats. Lors de la réunification allemande en 1990, 5 « nouveaux Länder » à l’est du pays ont été créés et annexés aux Länder de l’Ouest. « L’unité intérieure » ne semble cependant toujours pas totalement achevée, et il subsiste de fortes disparités socio-économiques entre les Länder de l’ex-RDA et les autres : le taux de chômage est ainsi plus élevé à l’est et la population plus âgée. D’autre part, le fédéralisme fait parfois l’objet de critiques, qui dénoncent par exemple des inégalités en matière de politique éducative en fonction des Länder. Les Länder demeurent cependant des territoires avec une forte identité régionale et culturelle, à laquelle la plupart des Allemand·e·s sont attaché·e·s. La Bavière, le Land le plus étendu d’Allemagne et le deuxième plus peuplé, est connue pour sa conscience régionale particulièrement forte, qui se reflète notamment dans sa volonté d’autonomie politique. La Bavière dispose en effet de son propre parti conservateur, la CSU (Union chrétienne-sociale) au pouvoir sans discontinuité depuis 1962.
2. Quel est le rôle du Bundestag dans le système politique allemand ?
L’institution centrale du système politique allemand est le Bundestag (la chambre des député∙e∙s), qui siège à Berlin, au Palais du Reichstag depuis 1999 (il siégeait auparavant à Bonn). Le Parlement occupe une place prédominante : le∙a Chancelier∙ère dépend de la confiance des député∙e∙s et contrairement au cas français, il doit en général composer avec une coalition composée de plusieurs partis. Il partage le pouvoir législatif et constituant avec le Bundesrat.
Le Bundestag, après la réforme électorale de 2023 comptera 630 député∙e∙s. Ce sont les député∙e∙s du Bundestag qui élisent le ou la Chancelier∙ère et votent les lois, ratifient les traités, adoptent le budget fédéral,
mais aussi autorisent l’engagement des forces armées. Ils disposent de nombreux pouvoirs de contrôle du gouvernement, au travers des séances parlementaires (plénières ou commissions) mais aussi par le biais des commissions d’enquête. Formées à la demande d’au moins 25% des député∙e∙s, ces commissions sont chargées de contrôler ponctuellement l’action gouvernementale sur des sujets précis. Elles peuvent auditionner des expert∙e∙s, rassembler des preuves, puis elles établissent un rapport, qui sera débattu par le Bundestag.
Le budget annuel du Bundestag est, en 2024, d’un peu plus d’un milliard d’euros (1,24 milliards d’euros), un chiffre conséquent qui montre aussi l’importance majeure des député∙e∙s et de leurs équipes dans la vie démocratique allemande – à titre de comparaison, l’Assemblée nationale, elle, a un budget de 620 millions d’euros en 2024.
3. Comment les Allemand·e·s votent-ils·elles et pourquoi un système électoral si complexe ?
Le mode de scrutin est mixte : il s’agit d’un scrutin proportionnel personnalisé. En Allemagne, l’électeur∙ice dispose ainsi de deux voix, représentées sur un seul et même bulletin de vote par deux colonnes :
- La première voix (Erststimme) lui permet de voter pour un·e candidat·e de sa circonscription : elle assure une représentation locale personnalisée.
- La deuxième voix (Zweitstimme) sert à voter pour une liste régionale (issue du Land), présentée par un parti : une liste de candidat·e·s (Landesliste). C’est cette voix qui définit le score obtenu par chacun des partis et permet de répartir les sièges à la proportionnelle et d’obtenir une représentation parlementaire fidèle au poids politique des différents partis.
Les député∙e∙s sont élu∙e∙s pour un mandat de quatre ans.
La réforme électorale de 2023 fixe le nombre de siège à 630 et souhaite assurer une meilleure proportionnalité des voix tout en encadrant les dépenses du Bundestag.
En fonction des résultats de la deuxième voix, un certain nombre de député∙e∙s issu∙e∙s des listes de chaque parti rejoint le Bundestag. Avec la première voix les électeur·ice·s peuvent, comme auparavant, élire des candidat·e·s de leurs circonscriptions. Cependant, si un parti remporte au scrutin majoritaire (première voix) plus de sièges qu’accordé par la répartition proportionnelle, seul∙e·s les candidat∙e∙s élu∙e∙s avec le plus de voix et équivalant au pourcentage de la deuxième voix siègeront au Bundestag. Il est donc possible qu’un·e candidat·e ayant été élu∙e au scrutin majoritaire ne siège pas au Bundestag si le parti auquel il ou elle appartient n’obtient pas un score proportionnel suffisant.
La répartition des sièges au Bundestag est finalement équivalente aux résultats du vote proportionnel, mais avec des député∙e∙s différemment élu∙e∙s, sur liste ou en circonscription.
En général, le résultat ne donne pas de majorité absolue à un parti, impliquant de former une coalition.
4. Peut-on voter par procuration en Allemagne ?
Le vote par procuration tel qu’il est pratiqué en France n’existe pas en Allemagne. En revanche, il est possible de voter par correspondance (Briefwahl) depuis 1957.
Concrètement, le vote par correspondance se déroule ainsi : l’électeur∙ice en fait la demande auprès de sa mairie, qui lui adresse quelques semaines avant l’élection son matériel de vote. Celui-ci est constitué d’un bulletin de vote, d’une petite enveloppe permettant d’en garantir le secret, d’une grande enveloppe rouge permettant de glisser la petite contenant le bulletin et la convocation au vote par correspondance (Wahlschein) signée. L’ensemble est envoyé (gratuitement) par la poste au bureau de vote. Le jour de l’élection, les grandes enveloppes rouges sont ouvertes, l’inscription sur la liste électorale est vérifiée, le vote pris en compte et les petites enveloppes contenant le bulletin (toujours fermées) mises dans une urne scellée. Elles sont ensuite décomptées comme les autres bulletins.
Avant 2009, il était nécessaire d’expliquer la raison de son vote par correspondance (impossibilité de se déplacer, absence prolongée, etc.). Depuis lors, il n’est plus demandé de motiver sa demande de vote par correspondance. En 1957, 4,9 % des électeur∙ice∙s ont voté par la poste. Aux élections de 2021 ce sont un peu moins de la moitié des électeur∙ice∙s (47,3 %) qui ont voté par ce moyen.
5. Quels sont les pouvoirs du chancelier ou de la chancelière, et comment est-il∙elle élu∙e ?
S’il existe bien un·e président·e de la République allemande, la personnalité politique la plus puissante d’Allemagne est en réalité le chancelier ou la chancelière (Bundeskanzler ou Bundeskanzlerin). Selon la loi fondamentale de 1949, son rôle est de « fixer les grandes orientations de la politique et d’en assumer la responsabilité ». Il ou elle dirige l’action du gouvernement et est au cœur du pouvoir exécutif. En tant que chef·fe de la diplomatie, c’est également le chancelier ou la chancelière qui représente l’Allemagne à l’étranger.
Mais comment est-il·elle élu∙e ?
Le chancelier ou la chancelière n’est pas élu∙e au suffrage universel direct comme en France, mais par le Bundestag, à la majorité de ses membres et par un scrutin secret, sur proposition préalable du président fédéral.
Il ou elle est élu∙e tous les quatre ans, en même temps que le Bundestag. Dans la pratique, le ou la chancelier∙e élu∙e est le candidat ou la candidate de tête du parti majoritaire (ou le premier parti majoritaire au sein de la coalition) lors des élections fédérales. Ce mode de scrutin vise à garantir la stabilité et l’efficacité de son mandat : ne peut ainsi être élu∙e que le∙a candidat∙e qui est assuré∙e de rassembler la majorité absolue des voix au Parlement.
Après l’élection, le nouveau chancelier ou la nouvelle chancelière est nommé∙e par le·a président·e fédéral·e et prête serment devant le Bundestag. Il ou elle peut choisir ses ministres et fixer leurs domaines de compétences. Il ou elle ne peut être destitué que par une « motion de défense constructive » votée par le Bundestag : le Parlement doit alors élire un successeur à la majorité de ses membres.
En Allemagne, il n’y a pas de limite de mandat pour le chancelier ou la chancelière,
ce qui suscite des débats au sein de la sphère politique. Helmut Kohl, tout comme Angela Merkel, sont ainsi restés 16 ans au pouvoir.
Le rôle central accordé au chancelier ou à la chancelière se justifie par des raisons historiques : il s’agissait, après la Seconde Guerre mondiale, d’éviter de concentrer trop de pouvoir dans les mains d’une seule personne et de privilégier un régime parlementaire fort et stable. L’étendue des pouvoirs du chancelier ou de la chancelière, à côté d’un·e président·e qui occupe essentiellement une fonction honorifique, a par ailleurs conduit Konrad Adenauer à parler d’une « démocratie du chancelier » (Kanzlerdemokratie) pour évoquer le système institutionnel allemand.
6. Comment se forment les coalitions et comment fonctionnent-elles ?
En Allemagne, la formation d’une coalition entre les député·e·s de deux ou trois partis est presque toujours nécessaire
pour réunir une majorité permettant d’élire un gouvernement et le ou la chancelier·ère. Menées, traditionnellement, par le parti arrivé en tête des élections, les négociations pour former une coalition majoritaire portent sur un contrat de coalition autour duquel deux ou trois partis s’accordent sur les lois et réformes à mettre en œuvre au cours du mandat. La répartition des postes ministériels en fonction du poids politique des membres de la coalition est également au cœur des discussions. Le parti arrivé en tête (ou un autre parti ayant eu un score important et capable de réunir une majorité autour de lui) peut entamer plusieurs discussions préalables (Sondierungen) afin d’évaluer les possibilités d’alliance avec les autres partis, avant d’engager des discussions plus abouties avec un ou deux de ces partis pour former la coalition (Koalitionverhandlungen). Ce processus peut durer plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Les partis y définissent leurs lignes rouges, leurs points de désaccord et les projets communs qu’ils entendent mener. En règle générale, cela aboutit à un « contrat de coalition » qui devient le socle de l’action gouvernementale.
La logique de coalition, fondée sur la construction d’une majorité stable dotée d’un mandat clair et d’une feuille de route construite par les partenaires de coalition confère un véritable poids politique aux deux ou trois partis coalisés - à condition, bien évidemment, surtout pour les petits partis, que la négociation ait été bien menée. Concrètement, la vie de la coalition s’organise par la tenue régulière d’une commission informelle dite « commission de la coalition » (Koalitionsauschuss) composée de représentant·e·s des partis membres de la coalition, du chancelier ou de la chancelière et du ou de la vice-chancelier·ère, qui statue notamment sur les lois en discussion et sur les éventuels désaccords politiques.
7. Quels partis siègent au Bundestag ?
Seuls les partis qui dépassent le seuil de 5% des voix ou qui ont gagné directement, avec la première voix au moins trois circonscriptions, accèdent au Bundestag, afin d’éviter la fragmentation du Parlement et de faciliter la formation d’une coalition qui soit apte à gouverner. Lors des dernières élections, en septembre 2021, sept partis politiques différents sont entrés au Parlement. Puis, en février 2024, un nouveau groupe parlementaire issu de la séparation de « Die Linke » et « Bündnis Sahra Wagenknecht » a été créé.
Les partis présents au Bundestag sont donc :
- La SPD (les socio-démocrates) : existant depuis le 19ème siècle, il est plusieurs fois à la tête d’un gouvernement dans les années 1970 et gouverne en tant que partenaire principal en coalition avec les Verts et la FDP depuis 2021.
- La CDU/CSU (les conservateurs) : créé après la Seconde Guerre mondiale, c’est le grand parti de droite, composé de la CDU (Union chrétienne-démocrate) et de sa « petite sœur », la CSU (Union chrétienne-sociale), qui est son pendant en Bavière.
- Bündnis 90/Die Grünen (les Verts) : formé après la réunification, le parti est issu de la fusion entre deux groupes : L’Alliance 90 (Bündnis 90), militant·e·s des droits humains en RDA, et Les Verts (Die Grünen), parti écologiste, pacifiste et anti-nucléaire.
- La FDP (les libéraux) : créé en 1948, il perd tou·te·s ses député·e·s au Bundestag en 2013, mais réintègre le Parlement lors des élections de 2017.
- Die Linke (la gauche radicale) : fondée en 2007, Die Linke se positionne à gauche des Verts et du SPD sur l’échiquier politique.
- La BSW, l’alliance Sahra Wagenknecht (la gauche nationaliste) : issue du groupe « die Linke », Sahra Wagenknecht annonce lancer son nouveau parti en janvier 2024. La BSW prône une gauche nationaliste et anti-immigration avec une orientation internationale pro-Russie.
- L’AfD (l’extrême droite) : parti eurosceptique et ouvertement anti-immigration fondé en 2013, l’AfD entre au Bundestag à l’issue des élections de 2017.
8. Y a-t-il un·e « Président·e de la République » en Allemagne ?
Si tout le monde connait le chancelier ou la chancelière allemand∙e, l’existence et le rôle de président·e de la République fédérale sont bien moins connus.
En Allemagne, le·a président·e exerce avant tout une fonction représentative : c’est une figure morale, dont la charge est essentiellement honorifique.
Le ou la président·e est en principe tenu·e à la neutralité politique et ne doit pas s’immiscer dans les affaires des partis. Bien que ses pouvoirs soient limités, il ou elle n’en demeure pas moins une personnalité influente et le ou la garant·e des institutions, chargé d’examiner chaque loi avant qu’elle ne soit promulguée. Il ou elle peut en effet refuser de signer une loi s’il ou elle juge que celle-ci est contraire à la loi fondamentale (Grundgesetz l’équivalent de la Constitution française). Une de ses missions centrales est de nommer officiellement le ou la chancelier·ère.
Il ou elle n’est pas élu·e directement par le peuple, mais par une Assemblée fédérale (Bundesversammlung) composée de député·e·s du Bundestag et du Bundesrat dont l’unique fonction est de procéder à l’élection du·de la président·e. Il ou elle est élu∙e pour un mandat de 5 ans renouvelable une fois.
Depuis 2017, le président de la République fédérale allemande est Frank-Walter Steinmeier, ancien ministre des Affaires étrangères.
Cet article a été actualisé en janvier 2025 par Mathilde Lanciaux.